Méfiez-vous de vos parents, ils vous cachent des choses. Ils se sont bien gardés de vous le dire quand vous étiez petits, quelle horreur c'est la vie. Enfant, on vous gave de couleurs vives, de doudous, de gnagnagnas et de petits poneys, au dessein inavouable d'endormir votre vigilence juste assez longtemps pour passer LE cap. Ce cap si précieux et effrayant de la conscience de soi. Question de conservation de l'espèce.
Ah si j'avais su alors dans quel merdier j'avais atterri, dites-vous bien que j'aurais eu l'inconscience (les couilles?) de me jeter du troisième étage de la tour Eiffel.
Trop tard, je suis adulte maintenant. Pas pour autant plus responsable. Il est 22:07 à mon réveil-soir et c'est pourtant le téléphone qui sonne. Emmitouflé dans une couette bleu pétrole, pas envie de me réveiller. Allez vous faire foutre monde cruel. La télévision bourdonne dans le fond, des rires toutes les trente secondes. Envie de dormir mais plus envie de dormir. Des cadavres de canettes diverses, boîtes de pizzas, vieilles chaussettes, verres renversés, moquette Jackson Pollock jonchent mon parcours douloureux vers le frigo salvateur. Un peu d'air frais enfin.
Enfin quoi. S'il y a bien une chose que j'aurai senti venir, ç'aura été celle-ci. Ca n'en fait pas une expérience plus soutenable pour autant. Je suis une telle loque que je mérite ma mauvaise haleine. Assis sur le lit à faire semblant de regarder Fashion TV, toutes ces filles belles à en vomir mais je ne pense qu'à une seule, celle qui a enfin eu la lucidité de me sortir de sa vie, lundi dernier.
J'ai beau avaler péniblement un Activia de Danone enrichi en bifidus actif, l'air est irrespirable. La tête qui tourne, idée fixe, oeil hagard, il va peut-être falloir que je fasse un tour dehors pour me changer les idées. J'ai envie de nuit, de pluie fine sur le visage, de lampadaires flous et de sillons de pneus dans l'eau.
J'ai aussi envie de ne croiser personne : les gens sont moches quand on ne veut pas les voir. Mais ça je sais faire, je me réfugie dans mon monde et tout est dépeuplé. J'enfile mon attirail de dandydécadent et descend sur le Boulevard Sébastopol.
La pluie est légère mais je me concentre pour l'éprouver quand même. Je veux ressentir chaque goûte acidulée comme une micro claque qui compenserait celles que Séverine ne m'aura pas foutu -- par oubli certainement -- et que j'ai pourtant tellement mérité.
L'autodestruction est une discipline de tous les jours. Il faut l'entretenir précautionneusement sinon on risque de se laisser aller à l'inavouable, au bonheur ; ou encore pire, à la routine. C'est sur cette réflexion tout à fait dénuée de sottise que je me décide à diriger mes pas vers une rue adjacente, la Saint-Denis.
Il y rôde à cette heure-ci une faune plus qu'éclectique, assez réjouissante au demeurant pour mon humeur du moment. Quitte à vraiment toucher le fond, je me mets en quête du peep show le plus pourri que je puis trouver. C'est en voyant des écriteaux étoilés rose fluo et des posters coquins délavés des années quatre-vingt, brushing éclaté sur chevelure peroxydée que je me décide enfin.
En entrant dans l'infâme boui-boui je croise subrepticement le regard du petit type de la caisse, un gros brun mal rasé qui semble se faire chier royalement en mangeant salement un sandwich tout aussi sale que lui. Des goûtes de sauce blanche éclaboussent le journal d'une langue non identifiée qu'il est entrain de lire tout en jetant de brefs coups d'oeil à ses écrans de contrôle bicolores.
Il ne doit pas être habitué à ce que les clients soutiennent son regard, et je le vois vite feindre de se replonger dans son journal barbare. Evidemment, dès que je me retourne pour vaquer à mes occupations malsaines, je sens sa tête remonter comme un ressort et me fusiller du regard.
Il existe toujours dans nos souvenirs de vie quelques moments singuliers, expériences que l'on a vues ou faites que l'on aimerait pouvoir effacer de nos mémoires mais qui on le sait malheureusement, resteront à jamais gravées comme des diapositives concupiscentes d'un horrible voyage en décadence. Ces choses que l’on n’osera jamais dire à personne et qui constituent le cimetière sinistre au fin fond de notre jardin secret.
Ce genre d'expérience fondatrice, je voulais en connaître une ce soir. Bien marquer le coup.
Alors évidemment, les étalages entiers de DVD Vivid et autres Hot Vidéo aux putes de l'est avalant des bites dans chaque trou réglementaire tout en feignant des sourires rouges vifs me lassent rapidement. Beaucoup trop morbide. Je décide donc de descendre dans l'obscure arrière salle pour me trouver un box de visionnage individuel. La plupart de ceux-ci sont manifestement occupés, je me fais vite à l'odeur de sueur et de sperme caillé.
Je n'ose imaginer les substances que pourrait découvrir une analyse biologique par des policiers américains sur la télécommande que je saisis pour faire défiler les chaînes et trouver un film digne de ma libido actuelle. Peine perdue, j'ai énormément de mal à trouver sexy ces filles en plastique blondes à peu près toutes pareilles que cet étrange monsieur Flint semble vouloir m'imposer. De toute façon, la seule pornographie que je n'ai jamais pu supporter se situe aux alentours des années soixante-dix et quatre-vingt.
Mais là, maintenant, il me faut quelque chose de tout à fait dégueulasse, de crade, de salace, un truc que l'on n'ose à peine regarder du coin de l'oeil. Et si possible une femme avec de vrais seins, de vraies fesses et une réelle envie de se faire mettre misère par tous les trous et dans toutes les positions : en somme, une vraie salope.
Finalement, je me contente un peu par défaut d'un porno-réalité californien dépeignant une fille de dix-huit ans et trois jours (permis de conduire à l'appui) léchant l'anus d'un acteur tout en se faisant pénétrer le cul par deux énormes bites noires en même temps.
Après quelques minutes fastidieuses, un bruit de grattement me distrait de ce spectacle émouvant. Un son venant de ma gauche. Je cherche dans la pénombre et semble discerner un petit doigt sortant de la paroi du box, grattant pour éveiller mon attention. Semblant doué du sens de la vue, dès que je suis fixé sur lui il se met à me faire signe de venir vers lui. Dans le noir, je n'avais pas réalisé la présence d'un glory-hole dans la paroi.
Vite compris de quoi il était question, j'enfile mon propre doigt dans le trou et attends quelques secondes cette sensation chaude et humide qui entoure mon index, mordillé légèrement et langoureusement. Le petit doigt inconnu ressort et recommence ce mouvement de viens-là-que-j'te-suce.
Par soucis de démontrer à la personne en face de moi qui commande ici, je décide de frapper le trou d'un violent coup de pied, corrigeant le doigt au passage. Puis, ouvrant rapidement le zip de mon jean pour ne laisser aucun doute sur mes intentions, je sors à l'air libre et dirige le bassin vers la cavité obscure.
À partir de cette seconde précise, je suis à la merci totale de cette personne non identifiée et asexuée, mon ascendant n'étant plus qu'exclusivement psychologique.
Au fond, j'apprécie cette sensation de déperdition totale, mon corps est en accord parfait avec mon esprit chaotique. Qu'on me coupe la bite à la machette, à cet instant précis, m'est complètement égal. Je ne vois de toute manière plus aucune utilité à mon appendice sexuel : il m'encombre plus qu'autre chose depuis qu'elle n'est plus là, et pire encore, c'est bien celui-ci qui aura causé ma perte.
Néanmoins, l'accueil n'est que pure douceur de l'autre côté de la paroi, une sensation suave bien connue englobe lentement mon membre à peine éveillé. Je n'en suis pas encore à me demander qui peut bien être cette sympathique personne.
Femme, homme, jeune, âgé(e), grand(e), petit(e), gros(se), mince... son histoire, ses raisons, sa vie, ses problèmes nous sont tout aussi dérisoires à l'un qu'à l'autre. Le seul aspect important de ce contrat à durée déterminée est l'instant présent et le mouvement de va-et-vient qui rythme notre affaire commune.
Me laissant envahir par mes sensations, essayant de perdre toute notion de réalité, je goûte mon index couvert de salive inconnue. Ma verge est complètement déployée maintenant. La bouche semble tout à fait à l'aise dans cet exercice. Les sensations sont élusives, je vois flou les yeux fermés, seul le visage de Séverine m'apparaît de plus en plus clairement, elle s'empare doucement de mes pensées.
L'air est frais tout à coup, je sens les volutes d'air marin me traverser les joues, un soleil assomant nous surplombe Séverine et moi, quelques grains de sable parviennent à nous sur notre matelas blanc à quelques mètres de la plage estivale. Les cris des enfants s'accordent à ceux des oiseaux de mer au lointain, des voiles blancs cassés nous caressent doucement. Le ressac de la mer proche nous berce dans nos rêveries. Notre lit se trouve au milieu d'un ponton au milieu d'une plage au milieu d'une île au milieu d'un océan au milieu du monde. Séverine se tourne vers moi et me gratifie d'un regard sans équivoque du plus profond de ses yeux couleur de ciel, tout en me frôlant délicatement de sa peau dorée. Ses pores exhalent une fragrance mielleuse et appétissante. Nos deux corps s'enlacent et je déguste la peau de son joli cou.
L'excitation me monte dangereusement, je me sens proche du point de non-retour. Le va-et-vient est monté progressivement en intensité et se mue en mouvement déchaîné et furieux. Je suis seul au monde avec cette bouche qui en veut manifestement à mon intégrité physique. Il est trop tard maintenant. Je laisse échapper un léger soupir, et les canons de Navarone se mettent en marche.
Le premier jet atteint le fond de la gorge et je sens la bouche se rétracter en un réflexe défensif. Je frappe alors un deuxième grand coup dans la paroi et la bouche se fige dans sa retraite, bon élève. Elle se remet en place progressivement et je ressens maintenant les mouvements de déglutition se succéder rapidement. Après quelques secondes ma source se tarit enfin et je laisse la bouche se départir de mon membre redevenu sans vie.
L'atmosphère nauséabonde qui emplit la scène et mon mal de tête n'arrangent pas mon état second. Je reste planté là, ma trique pendant de l'autre côté du mur tandis qu'une main se met à la remuer lentement. Je sens alors monter un autre besoin vital, pas moyen d'esquisser le moindre mouvement pour autant.
Ca y est, le liquide jaunâtre se met à couler. La main s'écarte rapidement alors je frappe une nouvelle fois, puis une nouvelle puis encore une autre, jusqu'à ce qu'elle se décide à revenir. Je recommence à taper cette fois-ci frénétiquement et je sens la bouche se réapproprier ma bite. Celle-ci se remplit alors rapidement et l'inconnu(e) a du mal à suivre le flot urinaire incessant. La bouche explose alors et je sens mon sexe arrosé par ma propre pisse. Mais, disciplinée qu'elle est maintenant, elle ne flanche pas et continue d'essayer à en gober la majorité jusqu'à ce que le volume diminue et que le flot s'arrête.
Enfin, je me sens vidé de tous mes péchés. Néanmoins, la nausée persiste et sentant mes pieds vaciller, mon pantalon abaissé aux chevilles, mon corps s'écroule de tout son long par l'arrière sur le siège en plastique noir. J'entends raclements de gorge et crachats de l'autre côté. J'essaye de reprendre mon souffle et mes esprits sans y parvenir totalement, les sensations se bousculent en moi. L'ambiance s'est calmée et j'ai l'ultime lucidité de discerner la main ressortir du trou pour me gratifier d'un délicat doigt d'honneur. C'est le dernier contact direct que j'aurai eu avec ce personnage, et c'est bien suffisant. Je n'aurais jamais voulu avoir à soutenir son regard, quel qu'il ou elle fût.
Les odeurs pestilentielles du box combinées à celles de l'endroit ont finalement raison de mon système digestif et je finis ce voyage en enfer en dégueulant un peu de yaourt et beaucoup de bile acide sur mes chaussures vernies. L'arrière-goût aigre me restera toute la nuit.
Je suis sur le point de m'assoupir après ces évènements mémorables lorsque la réalité se rappelle brutalement à moi alors que deux énormes types ouvrent la porte de mon box pour découvrir un petit con affalé, pantalon baissé bite à l'air, bile aux lèvres et baignant dans sa pisse.
Ils me tirent alors violemment de mon siège pour me sortir de là et me traînent à grands fracas dans l'allée où une demi-douzaine de petites têtes moches sortent de l'entrebâillement de leur box pour regarder ce qui se trame au dehors. Le petit type du comptoir se tient en retrait, certainement alerté par mon flirt du soir ou bien peut-être par mes coups de poings aux parois dont je n'avais jusqu'alors pas réalisé l'éventuelle portée sonore.
Tout en me traînant négligemment chacun par un bras, les deux butors m'assaillent de coups sur la tête -- pour m'aider à me réveiller certainement -- mais ce témoignage de leur sollicitude, appréciable au demeurant, n'améliore pourtant pas ma situation mentale. Ils me couvrent de réprimandes et d'insultes que je ne comprends pas tout à fait, ayant plutôt tendance à mélanger tout ça dans un imbroglio acoustique. En fin de compte, et alors que nous passons la porte de l'établissement et que le froid de la rue combiné à celui de la pluie me giflent la peau, balancé nonchalamment sur les pavés gelés, ma tête cognant contre un petit nombre d'entre eux, je dois l'avouer, dans mon monde, je n'entends plus que le ressac de la mer.
Et je pense à Séverine.